Témoignages d'écrivains à propos du plateau du Mezenc |
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Albert Camus, Georges Canguilhem, André Chouraqui, Jean Dasté, Marcel Pagnol, Francis Ponge, Paul Ricoeur, Jules Romains, Jules Vallès, Pierre Vidal-Naquet, et, plus près de nous, Jean Chaudier, André Rochedy et Pascal Riou, tous, philosophes, hommes de lettres, romanciers, poètes sont venus à un moment ou à un autre de leur itinéraire se ressourcer sur le Plateau . C'est ce que rappelle opportunément une récente publication du Sivom Plateau Vivarais-Lignon dans sa série "Itinéraires du Patrimoine" . Qu'ils y soient nés, y aient vécu, séjourné longuement ou de manière quelquefois fortuite, tous ont noué avec cette montagne des liens forts, y ont trouvé la matière ou l'inspiration de leur oeuvre, et la sérénité nécessaire à la pensée et à l'écriture. Les quelques extraits qui suivent pourront, dans leur
juxtaposition, esquisser les impressions du contemplateur ou du simple
visiteur au spectacle de ce paysage saisissant qui "saute
aux yeux, s'impose en maître. 1
car "ici, on ne se mesure pas à
la nature, c'est elle qui prend notre mesure et remet à sa place le
citadin, ses certitudes confortables et ses horizons limités. Les
dimensions de ce pays ne sont pas humaines mais sauvages." Jules Vallès, avec ses mots à l'emporte-pièce, dit à sa manière ses premières impressions d'enfant devant ce Pays-autour-du-Mézenc : "C'est vide, vide, avec seulement des boeufs couchés ou des chevaux plantés debout dans les prairies!"" 2 Ce "vide", c'est ce qui frappera encore le voyageur du Routard lorsque, un siècle et demi plus tard, il découvrira le Plateau : "Des
Estables à Fay-sur-Lignon, de Moudeyres à Chaudeyrolles, du Mont Mézenc
au mont d'Alambre, ce ne sont que de vastes prés "bossus" comme
on dit ici, d'immenses pâturages jaunes balayés par la "burle"
hivernale, des champs d'herbe rase où rien n'arrête
l'oeil. 3
Il lui faudra, comme souvent au voyageur qui n'a pas les mots du poète,
avoir recours à des comparaisons avec d'autres paysages, prestigieux ou
exotiques, pour tenter de nous faire imaginer le caractère unique de ce
qu'il a vu ; aussi poursuit-il :"Un autre Aubrac oriental, une étrange toundra pelée, une steppe
de Mongolie. Dans ce royaume chauve, la seule tonsure verdoyante, c'est la
forêt du Mézenc. Au-dessus d'elle il n'y a plus rien, rien qu'une haute
terre faite de solitude et de vent." C'est cette immensité, ces espaces déserts que dit lui aussi Jules Romains lorsqu'il redécouvre ces montagnes au pied desquelles il n'a fait que naître, comme en passant . Mais lui a su dénicher, dans un repli du terrain, la bâtisse de basalte au toit de lauze qui s'abrite du regard et du vent :
"Ecoute-moi. C'est une grande
maison basse
Qui s'enfonce à demi dans un creux de la lande,
Avec un toit penchant qui rejoint le sol,
Et un seul arbre qui se répand sur le toit.
Alentour, aussi loin que peut porter la vue,
Tout est désert, tout n'est qu'une onde d'herbe rase
Ou que douce épaisseur de bruyère feutrée. Et tant d'espace ne s'étend jusqu'à personne."4 Pourtant , tant d'espace désert n'est pas néant : l'homme s'y retrouve infiniment vivant, de corps et d'esprit que ce soit de jour: "Mais peu à peu, cet air cru des montagnes fouette mon sang et me fait passer des frissons sur la peau, poursuit Vallès. J'ouvre la bouche toute grande pour le boire, j'écarte ma chemise pour qu'il me batte la poitrine. Est-ce drôle ? Je me sens, quand il m'a baigné, le regard si dur et la tête si claire !" 2 ou de nuit : "La nuit qui m'a laissé le plus vif souvenir, c'est celle que je passai sur le Mézenc (...) Je dormis très mal mais j'aimais, dans mon insomnie, sentir autour de moi l'immense désert de la nuit.""5 Il s'y sent à la fois plus ancré dans la terre car
" Les lits sont enfoncés
dans une muraille de bois ; Ils vont loin, comme des trous d'insecte au coeur d'un vieil arbre""4 et plus proche d'un au-delà de la terre qu'on appellera " l'autre vie" :
"Le sommeil y est plus
enivrant que partout ailleurs, Plus libre de la terre, plus entré dans l'autre vie."(4) ou qu'on identifiera à la Poésie. que ce pays inspire, appelle : "Il est peu de régions de France qu'au cours de ma vie j'ai plus fréquentées et dont je garde des souvenirs plus décisifs, je veux dire, qui ont plus profondément et plus durablement influé sur la direction prise par mon existence" 6 écrivait , à propos du Plateau, un des plus grands poètes du XXème siècle à un de ses admirateurs, jeune poète, lui-même appelé, retenu par ce pays, et qui confie : "Je me suis livré à cette largesse sereine, ce déliement que donne le vent du nord à l'été du plateau ; je me suis redressé dans ce souffle si vaste qui marie proches et lointains, nuages et ruisseaux ; je me suis laissé reprendre par l'odeur espiègle des genêts et de la résine (...) Et puis je me suis laissé porter par ces terres, plus haut, qui s'en vont sans fin dans la lumière du Sud. Car
"... la poésie, qui voyage et sourit sans s'attarder, trouve
ici à poser sa tête sur une épaule bien-aimée et vient boire au secret
d'une paume. Oui, ce pays donne à qui l'aime hospitalité : cette sauvegarde sobre et sans questions, en qui nous pouvons reprendre force, confiance et qui est comme le souci intime du poème quand il tente d'abriter le monde avec justesse." 7 La poésie de Jean Chaudier, qui, dans son enfance, "n'(a) cessé de parcourir, sur (son) vélo, les grands espaces de notre haut plateau, avec en point de mire cette ligne d'horizon magique : Gerbier de Jonc, Mézenc, Lizieux", quant à elle, "se tient sur la paume de ce pays d'au-dessus des volcans." 8 Et le poète,
en proclamant son choix, nous invite à le partager et nous souhaite d'y
parvenir :
"Somme toute nous préférons
Ce lieu d'herbe
Et de vent
Pour dormir de toute éternité
Il ne restera rien de notre chant
Que quelques pages noircies
Mais trouverez-vous un jour
La houle qui nous a poussés
A dire cette merveille de vivre
Encore sur ce haut Plateau
Qui se tient en équilibre
Au-dessus des volcans O terre de nos origines !""9 Merveille d'y vivre, mais aussi , tout simplement, merveille de conserver le droit de contempler "ces premiers plans de Van Gogh et ces fonds de Mantegna"10 , librement, sans que le bois de pins, "l'une des pièces de la nature les mieux combinées pour l'aise et la méditation des hommes" 11 , qui a donné son nom à la Champ de Pin (lieu où est projetée l'implantation des grandes machines) soit foulé aux pieds par les amateurs de "certitudes confortables" et "d'horizons limités"; sans que, du sommet du Mézenc, ce qui est "ni plus ni moins un des plus beaux panoramas de France... du Gerbier de Jonc aux sucs du cirque de Boutières tout proche, du Mont Lozère au Puy de Dôme, du Mont Blanc au Mont Ventoux sans compter les Monts du Cantal, le Meygal, le Cézallier, le Sancy, autant de pierres précieuses qui envoûtent" 12 jette aux regards, parmi ces joyaux, la grossièreté d'un projet monté à la va-vite. 1 François Graveline, "L'invention du Massif Central" in Couleur Massif central, éd. Miroir, Clermont-Ferrand 2 Jules Vallès, L'Enfant 3 Le Guide du routard, Auvergne-Limousin, 2001-2002, éd. Hachette 4 Jules Romains, Cromedeyre - le vieil, éd. Gallimard 5 Simone de Beauvoir, la Force de l'Age, cité par le Guide du routard 6 Francis Ponge, Lettre à Pascal Riou du 7 septembre 1986 7 Pascal Riou, En introduction à la première Lecture sous l'arbre, le 9 août 1992 8 Jean Chaudier,par Jean Chaudier 9 idem, "Terre des origines", in Du pays au dessus des volcans, 1996, éd. La Bartavelle 10 Francis Ponge, La petite suite vivaraise 11 idem, Le carnet du bois de pins 12 François Graveline, opus cité |